Parler d’intelligence humaine et d’intelligence artificielle installe l’homme et la machine sur un continuum de commensurabilité, dont les affrontements aux jeux d’échec ou de go constitueraient une sorte de déclinaison paradigmatique. Mais ces verdicts, d’autant plus spectaculaires qu’ils donnent l’homme perdant, font bon marché d’une décomposition analytique permettant de mieux saisir ce qui fait l’intelligence humaine, et celle des machines. Volume d’informations, vitesse d’exécution, complexité calculatoire, puissance d’apprentissage, intuition, sens commun, créativité face à l’incertain ne sont que quelques-unes des dimensions qui permettent de décomposer l’intelligence, pour en préciser la nature et en situer le lieu. Cette décomposition implique comme une évidence que les pratiques peuvent occuper, sur ces différentes dimensions, des positions non congruentes : la meilleure machine à calculer n’est pas nécessairement la plus créative. En rendant caduque les appréciations trivialement ordinales des rapports que peuvent entretenir intelligence humaine et artificielle (qui donc est la plus forte ?), la décomposition de l’intelligence en lignes hétérogènes doit permettre de mieux cerner leurs spécificités irréductibles et leurs complémentarités potentielles.